« Cette série de dix dessins de Bernard Briantais intitulée « Bancs publics » est à la fois excessivement réaliste et complètement déjantée. On reconnaît parfaitement ces scènes et ces personnages qu’on a déjà eu l’occasion de rencontrer mainte fois dans le quotidien des squares. Les vieilles dames qui tricotent et les enfants qui jouent. Un foisonnement de vies humaines et animales encore exagéré par la caricature. Mais c’est justement la caricature qui fait sortir cette humanité de son cadre et permet de dépasser les limites du réel. »
Alors des vaches, des oiseaux, des crabes, des cochons viennent se poser sur la tête des gens. Les cyclistes du tour de France escaladent le chapeau d’un monsieur absorbé dans sa lecture. Les morts circulent au milieu des vivants, sans se faire remarquer, et le diable se promène parmi les chiens et les bébés. Enfermés dans leurs bulles individuelles, les protagonistes du réel ne peuvent pas avoir une vision d’ensemble. Ils sont incapables d’un regard extérieur. Ils ne perçoivent pas le surréel qui les entourent et dans lequel ils baignent sans le savoir. »
En règle générale, ils sont isolés les uns des autres à l’intérieur de leur bulle. Mais parfois la tendresse leur est permise. Ces deux dames qui se ressemblent comme des sœurs, laissent s’entrecroiser leurs bulles. Dans sa bulle, cet homme a réussi à faire rentrer son chien. Les amoureux sont dans des bulles qui se superposent. Les frères siamois partagent la même bulle. L’enfermement n’empêche donc pas les liens qui se forment entre les êtres.
La vision de Bernard Briantais s’exprime à la fois par une critique de la société assez grinçante et par un univers onirique très présent. Comme si les deux faisaient partie d’un même délire. Il pousse le réalisme jusque dans les moindres détails. Les vêtements, les chaussures, les chapeaux, les lunettes, jusqu’aux bas de contention, sont représentés avec exactitude. Les attitudes, les comportements, les activités sont parfaitement conformes et habituels. Cependant l’irruption du rêve dans la normalité est inévitable. C’est cet état contradictoire entre le réel et l’imaginaire, entre le conscient et l’inconscient, entre la vie diurne et la vie nocturne que les dessins de Bernard Briantais semblent vouloir montrer. Une contradiction que le dormeur étendu sur le banc parvient à maintenir en équilibre. C’est peut-être l’artiste lui-même qui est en train de rêver. Son corps tatoué est comme un tableau. Dans son sommeil, il échappe pour un moment à la folie qui l’entoure.
Claude Brabant, publié dans « Empreintes No 28 »